L’Ukraine et la guerre inouïe (comme vestige d’un passé qui nous hante tous)
Conscient des risques d’escalade et solidaire de la souffrance des peuples à qui la guerre est imposée, l’Institut Alfred Adler de Paris se mobilise avec ses partenaires internationaux pour accélérer la production de notre programme européen Erasmus+ de formation à la psychologie de l’urgence « Psych.E.In ».
Les 2 tiers de ce programme en e-learning encore en production sont déjà accessibles gratuitement. Il est destiné aux professionnels de l’urgence (personnels de santé, personnels de secours, intervenants en milieu sanitaire et social, logisticiens et coordinateurs), ainsi qu’aux intervenants en santé mentale confrontés aux situations d’urgence potentiellement traumatiques, pour la prévention et les soins.
Conçue et réalisée par un consortium regroupant 7 institutions de 6 pays européens appartenant à différents courants de la psychologie, la formation Psych.E.In est une coproduction internationale et pluridisciplinaire. Elle est organisée sous forme de MOOCs, de boites à outils (Toolkits) et d’une collection de cas cliniques spécifiques des situations d’intervention psy en situation de crise. Elle permettra, d’une part, l’accès à ses ressources et à ses services, et d’autre part, les échanges et la collaboration à distance, offrant ainsi une possibilité d’apprentissage fonctionnel et solidaire de la psychologie de l’urgence aux apprenants du monde entier. Formulée en anglais, elle est en cours de traduction dans les 6 langues du Consortium. Nous sommes aujourd’hui sur l’élargissement du projet aux langues ukrainienne, bulgare, russe et roumaine pour apporter notre soutien aux collègues en train d’accueillir et sécuriser les réfugiés dans le camp aux frontières de la guerre.
Cette collaboration bénévole internationale de l’Institut, qui voit aussi les élèves impliqués dans le travail de traduction, illustre notre volonté d’engagement comme une forme de résistance aux clivages et au délitement du sentiment social et d’appartenance – Gemeinschaftsgefühl. En tant qu’adlériens, le sens de notre action est celui d’un groupe qui s’associe avec de nombreux autres groupes et communautés pour contribuer à améliorer l’existence humaine à partir du contexte de nos sociétés présentes, passées et futures.
Ainsi nous considérons que l’objectif final de notre action éducative n’est pas tant le succès et la connaissance (qui ne nous protègent que brièvement des problématiques profondes de la vie) mais bien le Gemeinschaftsgefühl. Ce sentiment social et d’appartenance reste la valeur pragmatique et spirituelle de premier plan qui doit animer la vie politique, économique, éducative et culturelle, afin d’empêcher les fictions de l’égo de se rigidifier au point de dominer toute relation humaine, et par extension d’arriver à concevoir, organiser et justifier leur destruction au point même d’en ressentir le bien-fondé.
« Pour tous ceux qui marchent sur le chemin de la coopération humaine, la guerre doit paraître détestable et inhumaine. Mais si une génération, ou une partie de celle-ci, grandit sans un sens adéquat de la communauté, de sorte que ses désirs personnels prennent le pas sur le bien-être général, alors la guerre peut sembler un moyen justifiable de satisfaire des intérêts personnels et égoïstes. »
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(Extrait de Alfred Adler, « Mass Psychology », International Journal of Individual Psychology, vol. 3, pp 11-12, 1937, Collected Clinical Works of Alfred Adler: Volume 7)
Alfred Adler définissait le Gemeinschaftsgefühl comme l’interdépendance humaine, une potentialité innée dont dépend non seulement le développement sain de chaque individu, mais aussi la survie de la société. Il s’agit d’une attitude émotionnellement positive envers l’espèce humaine (et par extension envers tout le vivant), un intérêt social, un désir de lien, un sentiment d’appartenance, la “certitude perceptive“ d’être relié de façon universelle, et certainement la seule façon efficace de surmonter le sentiment fondamental et universel de l’infériorité.
Pour Alfred Adler, Gemeinschaftsgefühl c’est l’ancrage dans le réel, ici, maintenant, avec les autres, nos égaux : une instance psychique. Perdre l’appartenance conduit à rigidifier nos fictions jusqu’à les considérer comme réelles.
L’affaiblissement de cette instance nous fait entrer progressivement dans un monde fictionnel. Un monde irrationnel et anormal dans lequel la volonté de puissance peut conduire individus et groupes à choisir un style de vie tyrannique, agressif, oppresseur ou reclus, en compensation d’émotions et de sentiments insupportables, liés à l’impuissance et l’infériorité et pour la plupart non conscients. Ainsi se voient posés des actes de violence injuste envers autrui, de rancœur et d’antipathie, d’abus de pouvoir, de comportements basés sur le mensonge, l’imposture et la calomnie, d’enfermement dans une illusion de grandeur instable, mais également des actes d’auto-agression, comme le suicide et la dépression.
Ce sont malheureusement ces forces fictionnelles que l’on peut voir à l’œuvre dans l’actualité dramatique que vivent aujourd’hui les populations d’Ukraine et d’Europe orientale avec des répercussions psychologiques impactant les personnes bien au-delà des champs de bataille.
Comme toutes les guerres, celle-ci provoquera des traumatismes durables avec des effets malheureusement persistants sur le bien-être mental des peuples européens et au-delà.
« Nous avons besoin de la préparation et de la promotion conscientes d’un puissant intérêt social et de la démolition complète de la cupidité et du pouvoir dans l’individu et dans les peuples. Ce qui nous manque à tous et pour lequel nous luttons sans relâche, ce sont de nouvelles méthodes pour élever le sens social… »
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(Extrait de « Psychologie du pouvoir », écrit par Alfred Adler en 1928, publié dans le Journal of Individual Psychology, Vol. 22, pp. 166-172, 1966 Collected Clinical Works of Alfred Adler: Volume 6)
L’Institut Alfred Adler de Paris s’associe à la tristesse et à la douleur des populations ukrainiennes et russes touchées par les combats et l’exode. Nous avons à cœur d’offrir notre disponibilité et nos compétences pour proposer une aide spécifique aux victimes, sachant ces populations ne sont que les premiers et directs protagonistes. Nous voulons contribuer à nourrir et cultiver ce résilient Gemeinschaftsgefühl par lequel naissent déjà l’altruisme, l’entraide et la mobilisation collective comme antidotes créatifs, expressifs et vitaux face aux abus de pouvoir, aux injustices et à la violence.
Un œil particulier devra se poser sur les nouvelles générations, y compris en France, que nous voyons silencieusement déstabilisées, particulièrement depuis deux décennies, par l’incohérence morale et politique des adultes, par les menaces énergétiques, environnementales et géopolitiques, par l’inertie des pouvoirs locaux et globaux face à ces problématiques, par la confusion entre réalité et virtuel, entre information et opinion, entre pragmatisme et croyance, induite par une technologie universalisée censée tout solutionner, autant de facteurs générateurs d’un terrain favorisant le traumatisme : la perte profonde des repères vitaux générateurs de plaisir et bien-être.